aller au bout d’un chemin sans barrières

A propos de l’atelier mené à Saint-Florent-sur-Cher avec l’association Accueil et Promotion, ainsi  que l’atelier Melosi, en collaboration avec le Palais jacques-Coeur

Je regrette de ne pouvoir accompagner cette brève introduction des textes des participants eux-mêmes. La mise à disposition sur Internet de ces textes très riches aurait pourtant été un outil pour d’autres groupes comme le nôtre. Ils seront édités, à la suite des Futurs de l’Écrit, par les Mille Univers. Merci au Palais Jacques-Coeur et à Georges Buisson de nous avoir acueuillis. Merci à Accueil et Promotion et l’atelier MELOSI.


«Aller au bout d’un chemin sans barrières…»

C’est l’hiver, c’est le mardi 14h, un peu plus tôt. Les rues du vieux centre de Saint-Florent sur Cher je n’ai fait que les traverser. Ce que je connais le mieux, c’est cette longue côte qui monte vers la zone industrielle, matériaux de construction, hypermarché, qui tremble sous de gros camions, parfois le bus 8 qui fait la liaison avec Bourges (on est tout prêt de la rocade), et l’alignement de maisons sombres fermées sur elles-mêmes : mais combien de rues dans notre pays, à cette heure, ressemblent exactement à cela ?
Et dans la vieille cour et ses arbres, ces grandes pièces carrelées d’ancienne école primaire. Et c’est un mystère que surgissent, une à une, bientôt douze ou quinze silhouettes. On s’assoit autour des tables mises ensemble.

Ne pas savoir lire ni écrire : mais comment, dans la vie urbaine d’aujourd’hui, ses formulaires, ses signalétiques, ses permanentes requêtes administratives ?

Il y a d’abord ce groupe des femmes en voile : certaines arrivées il y a trente ans, d’autres il y a deux ans. Accepter ce qui pourrait sembler un signe d’oppression ? Quand on parlera de voyage, d’enfance, les récits témoignent  : mariées à quinze ans, l’école abandonnée, la réclusion chez les beaux-parents, et puis rejoindre en France ce mari à peine connu, parfois encore des années sans sortir de la maison, sans découvrir la ville, hors un voyage à la mer, hors l’embauche aux pommes en saison.

Et pourtant, venir ici l’après-midi, entamer ce processus : et on découvre comme celle-ci a passé son permis de conduire, comment cette autre parle de son premier travail (l’accompagnement d’une personne âgée) et l’autonomie que cela représentait. Et on parle des enfants : ils sont à l’université, à Tours, Orléans, Paris.

On s’est ancré pour notre rencontre dans un lieu tout opposé : le palais Jacques-Coeur, lui qui avait installé ses commis tout autour de la Méditerranée, et bâti un hammam au coeur de ce palais qu’il n’a jamais habité. Un après-midi, on a travaillé sur le thème de l’argent : découvrir cette solidarité, cette générosité.

Mais il y a aussi, parmi d’autres du groupe, comme Pierrette, qui  pour elle écrit beaucoup, et souvent ici écrira pour les autres, comme Rogelia, l‘Espagnole, Alain et René.

Et avec eux, ce continent de notre histoire qui surgit : l’histoire toute proche de notre pays. Ils ont travaillé tous deux plusieurs décennies dans les usines proches, pour René, dans les chantiers de construction, pour Alain. Ne pas savoir lire ni écrire, combien de siècles en ce pays cela n’a pas empêché les plus belles réalisations de travail ? Savaient-ils écrire, les sculpteurs des frises de Jacques-Coeur ?

Une société l’autorisait, et recevait d’eux un autre savoir : René parle le langage des plantes, déchiffre le ciel et les arbres, et parle un extraordinaire français classique. La mémoire prend un autre rôle, et quand il l’applique au journal de sa ville c’est toute cette vie que je ne sais pas voir, dans la grande rue en côte, qui surgit. Et Alain pratique les «riffles», voyage dans toute l’Europe…

Qu’est-ce qu’écrire, dans un atelier d’écriture mené en groupe, lorsque les participants, pour eux-mêmes, ne savent pas écrire ? Au début, lorsqu’il me fallait cheminer vers elles et eux, c’était simplement mettre en chantier la parole, et faire mémoire de cette parole tenue ensemble. Puis on s’y est mis ensemble : les accompagnatrices, parfois Aurore et Esmeralda Pace, qui vont prendre en charge la restitution, faire que cette parole devienne publique, et moi-même : alors, au plus près de cette parole confrontée à un objet précis, accueillir le rythme, les blancs, le tour précis des mots. Devient écriture ce qui est la parole en chantier, se creusant elle-même. Et puis, parce qu’ils sont ici pour apprendre, souvent ces pages écrites lentement, mais où on tient à coeur d’attirer à soi les signes de ce qu’on veut affirmer, questionner, offrir à l’écoute de l’autre, la mémoire de tous. Et cela aussi c’est une définition pour écrire.

Je traverse Saint-Florent-sur-Cher en voiture : les rues à nouveau sont vides, sauf les camions. Je sais, dans la cour aux vieux arbres, ce qui se passe autour des tables : et que le partage passe par la langue, par la parole en travail. Hommage à celles qui s’y consacrent, et merci de la porte, cet hiver ouverte.

François Bon

~ par noirlac sur Mai 27, 2009.

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